Hawai'i - Under the Rainbow


Peut-être le réalisateur Friedrich Wilhelm Murnau a-t-il une intuition du charme envoûtant des habitants des Mers du Sud, que Paul Gauguin dépeint avec une telle force dans ses tableaux, lorsque, pour son dernier film "Tabou", il pénètre dans ce monde insulaire afin de capturer une magie exotique déjà presque complètement anéantie au début du 20e siècle. Entrepris avec le réalisateur de documentaires Robert Flaherty, pour lequel il a une grande admiration, son projet de ressusciter pour Hollywood des danses hula exécutées par des nymphes en jupes de raphia, tient presque de la folie. L'idée de raconter de manière quasi documentaire l'histoire de l'amour tragique d'une jeune fille qui, désignée vierge taboue, ne pourra connaître l'amour d'un homme, contraste avec le style de Murnau et est probablement attribuable à l'influence de Flaherty. Murnau meurt avant d'achever son film.

Les archipels des Mers du Sud perdent leur innocence sous l'occupation d'intrus, le paradis est cultivé. Seuls quelques éléments rudimentaires subsistent des coutumes merveilleuses s'étant développées au fil des siècles en harmonie avec la nature, avant de passer, en quelques années à peine, sous le rouleau compresseur de la civilisation. Ainsi, lorsque, de Munich en passant par Tokyo, Mariko Takahashi et Stefan Winter se rendent à Honolulu, ils ne s'attendent pas à pouvoir retrouver – même en musique – l'univers des tableaux de Paul Gauguin. Dans leurs bagages, pas de carnet de voyage, pas de cahier de notes, pas d'appareil photo ni de caméra vidéo, seulement du matériel d'enregistrement et un microphone, dans l'espoir inavoué de rentrer des îles du Pacifique avec un journal de voyage audio (cinéma pour les yeux fermés).

Avant le départ de Munich est établi un planning d'enregistrement, qui ne sera mis en œuvre que de manière parcellaire. Le rythme de vie particulier qui règne sur l'île d'Oahu oblige à abandonner les horaires pré-établis, à entrer dans une autre dynamique, calme, puissante, lente. L'univers merveilleux d'origine volcanique et le climat fertile du Pacifique continuent d'avoir une influence sur les rapports entre les hommes et la nature.

Danse dans le vent sous la lumière de l'arc-en-ciel, bouge comme la mer, balance-toi comme l'arbre, coule comme le ruisseau porteur de vie! Les textes des anciens chants et hulas gardent leur signification, même si l'on ne trouve presque plus d'Hawaïen qui n'ait d'ancêtre japonais, irlandais, mexicain ou italien. Les choses ont changé, raconte-t-on, depuis que Mawake et ses fils, venant de Tahiti, se sont installés à Hawaï aux 11e et 12e siècles, et que d'autres envahisseurs, venant d'Europe, se sont mêlés aux populations autochtones des Mers du Sud à partir des 17e et 18e siècles. Le temple de Halau, érigé en honneur de Laka, la déesse du hula, est détruit, la religion chrétienne fait son entrée et Pele, la déesse du volcan qui détruit pour créer de nouvelles terres fertiles, est bannie. Sous le cratère de Diamond Head, sur la plage de Waikiki, on entend des hulas modernes et des sons hawaïens. La "slack key" et la célèbre "steel guitar" hawaïenne, l'ukulélé, d'origine portugaise, les contrebasses, les voix eunuchoïdes, à l'effet singulièrement érotique, et les chants polyphoniques: au rythme des vagues, tous ces sons se mélangent aux chants des oiseaux provenant d'arbres gigantesques, sous lesquels on sirote un cocktail en assistant au spectacle époustouflant d'un coucher de soleil dans le Pacifique.

 

Nuages, pluie et soleil se succèdent d'heure en heure, le tonnerre gronde de près et de loin, et l'on voit parfois deux ou trois arcs-en-ciel à la fois. Sur la véranda d'une maison de bois blanche posée sur le haut d'une falaise verdoyante au-dessus de Honolulu, une hula émane d'une guitare slack key. D'autres musiciens s'ajoutent, interprétant et chantant des chansons racontant l'amour, leur pays et leur princesse, Miriam Likelike qui, comme les frères Grimm, a travaillé à la préservation de l'héritage culturel transmis de génération en génération par la voie de la tradition orale. De nouvelles chansons naissent d'un attachement persistant à la tradition. Les Hawaïens ne se contentent pas de contempler les cendres du passé. La flamme brûle toujours. Seule la conscience s'est transformée. Avec l'arrivée du nouveau millénaire, tous les Hawaïens – qu'ils gagnent leur vie grâce au tourisme des Japonais ou sur des bases de l'armée américaine – se sont tournés avec une nouvelle attention vers leur langue, leur culture et leur nature. Les yeux des enfants du Hawai'i Youth Opera Chorus Angeli Ensemble brillent lorsqu'ils chantent leur pays. Ils apprennent de nouvelles chansons et des chants anciens que l'on croyait tombés dans l'oubli. En harmonie avec les paroles, ils bougent leurs corps, leurs bras, leurs mains, jusqu'au bout de leurs doigts qu'ils suivent des yeux.

Dans une simple maison sur une colline de la côte ouest, loin des remous de la grande ville, des jeunes femmes se rassemblent pour danser des hula. L'une d'entre elles célébrera bientôt son mariage. Elles racontent qu'elles ne croient plus en Laka, étant baptisées dans le Christ, mais que la sensualité inouïe de la danse hula les a captivées. Elles chantent et dansent, puis on entend, comme dans un conte de fées, le chant de baleines qui émanent de la mer faisant jaillir une fontaine d'eau jusque dans le ciel. Les chiens jappent nerveusement. Les anciennes chansons rituelles racontent la puissance de la nature, des chutes d'eau, des rivières de lave, et de l'amour. Avec leurs pieds nus et des tambours artisanaux, les hommes et les femmes battent le rythme de la danse pendant que, plus bas, les vagues déferlent inlassablement sur le rivage.

D'un ukulélé émane la chanson Ku'u Ipo I Ka He'e Pu'e One, écrite par la princesse pour une jeune fille au cœur brisé ne pouvant épouser celui qu'elle aime – évoquant le "Tabou" de Murnau et l'imagerie de Gauguin… La magie est toujours vivante.

 

Ce journal de voyage audio a été enregistré sur l'île d'Oahu entre le 12 et le 18 avril 2006.

 

- Stefan Winter (Traduction: Mélanie Rumpelmayr)

 

 


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