Fumio Yasuda - Kakyoku


Une photo. Du temps figé. Pourtant, celle-ci est altérée par le temps. L'érosion du temps modifie l'état des choses. Voilà ce que me dit la musique de l'album "Kakyoku" [chanson de la fleur].

L'orchestre à cordes domine; de la monochromie naît une pluralité de couleurs, sans éclat. L'éclat serait inopportun. Les sonorités sont puissantes et persistantes - celles du violoncelle ou celles de la harpe, qui cède finalement le pas au piano.

Ce que l'on entend n'est pas une histoire. Pas de thème dominant, pas de fil conducteur. Plutôt, une présence crue, substantielle qui, lorsqu'elle atteint l'auditeur, fait naître des images. Voilà le genre de musique dont il s'agit.

En ce sens, on peut parler de musique figurative, ce qui ne signifie nullement toutefois que les différentes compositions sont une traduction musicale des œuvres du photographe Nobuyoshi Araki. C'est plutôt le son, la composition musicale elle-même qui possède une force génératrice d'images. C'est là le point de départ.

Fumio Yasuda, le compositeur/pianiste, est né en 1953. "Kakyoku" est le premier album qui reflète fidèlement sa démarche artistique. Pour apprécier son "Kakyoku", pas besoin de savoir qu'il a étudié la composition, avant de s'intéresser au free jazz.

Les musiciens que l'on écoute aujourd'hui sont catégorisés, puis rangés dans différents compartiments. Les auditeurs acceptent souvent, inconsciemment, ces catégories, utilisées par l'industrie de la musique afin de produire divers styles musicaux à l'intention de publics cibles. Les musiciens eux-mêmes sont influencés de façon inconsciente par ces catégories. Ceux qui réfléchissent trop à ces divisions ont souvent la curieuse tendance à en inventer toujours de nouvelles - et c'est ainsi que naissent les concepts tels que le "crossover" ou la "fusion".

Il est cependant possible de se libérer de ces classifications et de ces divisions. Pas toujours, bien sûr. Mais lorsque la musique ne se présente pas seule, qu'elle se marie à d'autres éléments, comme c'est ici le cas avec les œuvres de Nobuyoshi Araki, elle peut alors profiter d'un certain espace de liberté.

Une image est complète en elle-même. Pourquoi alors combiner musique et images? Quelle est la raison d'être d'une telle musique? Quelle approche s'impose? Comment Fumio Yasuda s'acquitte-t-il de cette tâche?

Il commence à travailler à partir de rien, sinon une page blanche. Il met en œuvre toutes ses connaissances et les rejette tout à la fois, se libère de toute attente, travaille sans influence extérieure. On a l'impression qu'il fait appel à des styles et des genres existants pour créer, alors qu'en fait il s'en éloigne pour mieux les réunir dans des combinaisons merveilleuses.

Au commencement se trouvent les photographies d'Araki; elles sont la raison d'être de cette musique. Pourtant, si l'on met de côté pour un instant les photos pour n'écouter que la musique, pas d'effet de vide. La musique de Fumio Yasuda est aussi une critique permanente de l'œuvre d'Araki. La photographie fixe un moment sur papier, mais même lorsqu'elle est posée sur notre mur, celle-ci se transforme sous l'effet du temps. La musique de Fumio Yasuda naît dans le flot du temps qui passe, se nourrissant de ce mouvement. Elle joue avec le temps, l'arrêtant, l'accélérant, le laissant aller. Cet aspect est lié de près à cette "présence crue, substantielle" que j'évoquais plus haut. Fumio Yasuda expose ce que l'on peut pressentir en observant les clichés d'Araki. Ces traces subsistent sous forme de musique et sont soigneusement transmises aux auditeurs.

Par bonheur, "Kakyoku" est paru chez Winter & Winter, un label qui a déjà produit une série d'albums en collaboration avec Araki. Ce label est indépendant, dans le meilleur sens du mot, et est à l'origine de projets aux caractères multiples s'inscrivant dans des traditions musicales les plus diverses. Avec Fumio Yasuda, de la musique japonaise vient s'inscrire dans cette diversité. L'on pourrait également constater au passage le fait que l'industrie musicale japonaise n'a pas su reconnaître cette musique à sa juste valeur. Le producteur Stefan Winter a toujours refusé de faire des compromis dans son travail. Peu importe la célébrité des musiciens avec lesquels il collabore, il est toujours clair dès le départ qu'il ne publiera que ce qu'il considère être de la bonne musique.

Ensemble à cordes et harpe, piano et percussions samplées, accordéon et violoncelle seuls. Le fait que Fumio Yasuda ait proposé cette musique à un orchestre allemand (composé de musiciens aux nationalités diverses - Japonais, Scandinaves, Américains, Allemands) a rendu possible la création d'un son original. Un album est, par définition, un tout fermé vis-à-vis de l'extérieur, mais à l'intérieur, il est traversé de plusieurs éléments libres qui sont le fruit de processus divers. En écoutant "Kakyoku", on a le sentiment que de tels échanges et interactions survenus sur le plan humain ont su être transformés en musique. Bref, quel heureux hasard que cet album, à tous points de vue !

 

- Junichi Konuma, journaliste musical, Tokyo, Novembre 2000.

 

 


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